Samir Lebcher, 34 ans, kiosquier à Barbès dans le 18ème arrondissement de Paris. Après des mois de fermetures, le fameux kiosque rouvre ses portes. Portrait d’un homme qui n’a pas sa langue dans sa poche.
A l’intérieur de son kiosque, Samir est comme dans un nid. Il accueille tout le monde avec le sourire et la chaleur de « chez nous » comme il dit. On serait tenté de croire qu’il connaît tous ses clients personnellement, tant il connaît leur prénom, leur vie, leur quotidien. Une accolade ici, une poignée de main là , Samir est dans son élément. Les clients sont très heureux de le retrouver dans son kiosque qui a rouvert il y a peu de temps de cela. Son papa est dans tous les échanges. « Comment va Jean Michel ? » demande une personne âgée de passage. Samir ne tisse pas du lien qu’avec ses clients mais aussi avec les vendeurs à la sauvette qui se trouvent autour du kiosque. « Tu sais, il y en a qui viennent ici tous les matins, à 7H, pour vendre des cigarettes et rapporter de quoi à manger à leurs enfants, qu’est-ce que tu veux leur dire ? Par contre celui qui vole et passe son temps à arracher des colliers, il ne faut avoir aucune pitié envers lui ».
« Mon arrière-grand-père était marin au Maroc, il était pêcheur. Un jour il est parti à Brest en Bretagne pour des raisons que j’ignore, puis il est rentré au Maroc avec une bretonne »
Samir boit son café à la Brasserie de Barbès, le nouvel espace d’oxygène tendance du boulevard Barbes, où l’on peut siroter un verre, manger des plats bio finement préparés et lire un livre dans un cadre calme et très moderne.
Après les premiers échanges de courtoisie, Samir se confie « Quand j’ouvre mon kiosque tous les matins et que je vois ce qu’il se passe autour de moi, ce n’est pas normal. Quand tu vois le conseil d’arrondissement et que tu vois que certaines chaises sont vides, tu te dis qu’il y a un souci ».
Les premiers échanges sont à l’image de ce qu’a vécu ces derniers temps Samir avec la réouverture de son kiosque.
Avant d’être mêlé au 18ème arrondissement, l’histoire de la famille Lebcher commence bien loin de Paris. « Mon arrière-grand-père était marin au Maroc, il était pêcheur. Un jour il est parti à Brest en Bretagne pour des raisons que j’ignore, puis il est rentré au Maroc avec une bretonne ». Sous protectorat français à cette époque, le papa de Samir nait à Casablanca en 1950, de nationalité française et s’appelle Jean Michel. « Mon père tu le vois on ne dirait pas un Jean Michel » s’amuse Samir.
« J’ai fait le 18ème du fond en comble, j’allais voir mes potes à la Goutte d’Or et j’habitais à l’autre bout de l’arrondissement. J’en ai maintenant une meilleure connaissance que certains élus en place »
Dans les années 80, la famille Lebcher émigre en France et s’installe dans le 18ème arrondissement de la capitale, rue des Islettes, quartier de la Goutte d’Or. « On habitait un tout petit appartement, on était les voisins des Debbouze (en faisant référence à la famille de l’artiste Jamel Debbouze), mon père et le père de Jamel se connaissaient très bien. Mais avec ma naissance il fallait prendre plus grand et l’appartement devenait insalubre, y avait des tâches noires sur les murs, on a donc été relogé à la rue Belliard ».
« J’ai fait le 18ème du fond en comble, j’allais voir mes potes à la Goutte d’Or et j’habitais à l’autre bout de l’arrondissement. J’en ai maintenant une meilleure connaissance que certains élus en place » ironise Samir.
Avant de gérer le fameux kiosque en face du métro Barbès-Rochechouart, le père de Samir commence en tant que salarié chez le géant de l’édition, Hachette. Dans le cadre d’un mouvement de grève, il a gentiment été poussé dehors par la direction parce qu’il haranguait les foules. « Tu sais chez nous on a toujours eu le syndicalisme dans le sang ».
Son père, grâce aux réseaux qu’il s’était fait dans le domaine de l’édition, fait l’acquisition d’un kiosque. « Il a prit son premier kiosque ici, c’était une baraque en tôle, avec la lampe au gaz. Fallait tenir franchement ! Il a commencé comme ça. Et d’ailleurs c’est comme ça qu’il a connu ma mère qui passait souvent par le kiosque. »
Après l’obtention du Baccalauréat technologique, il arrête ses études en IUT pour passer le permis D afin de devenir conducteur de bus. De 2006 à 2010, il sillonne les villes et les cités de la petite couronne parisienne en étant conducteur pour la RATP Dev, une filiale du groupe RATP, avant de rejoindre la maison mère.
« T’as des kiosquiers qui gagnent moins que le smic pour des heures et des heures de travail alors que les actionnaires eux se gavent avec 50 millions euros de gains en 2016 »
Alors que Jean Michel prend sa retraite en 2010, il propose à son fils de reprendre le kiosque familial. Après quelques mois d’hésitations, Samir accepte de relever le défi.
Depuis 2010 Samir a bien prit ses marques dans son kiosque qui est devenu un lieu de passage obligatoire pour beaucoup d’habitants. Sur le plan professionnel, Samir a récemment créé avec des collègues un syndicat « Le syndicat des kiosquiers parisiens » qui compte près de 80 adhérents. « On n’est pas le plus majoritaire mais on est bien assis sur nos valeurs et nos revendications ».
Depuis son entrée dans le métier de kiosquier, Samir découvre la précarité du domaine et pointe les responsables. « T’as des kiosquiers qui gagnent moins que le smic pour des heures et des heures de travail alors que les actionnaires eux se gavent avec 50 millions euros de gains en 2016 ».
Les kiosquiers ont le statut de travailleur indépendant avec toutes les difficultés liées à ce statut bien particulier. « Je connais des collègues pour des heures de travail, qui rentrent avec 20 euros à la fin de journée. Ce n’est pas normal »
« Est-ce qu’on a voulu remercier monsieur JCDecaux parce qu’on lui a retirĂ© Velib ? »
La gestion des kiosques parisiens fait l’objet d’une délégation de service public. C’est Mediakiosk, filiale de JCDecaux spécialisée dans l’installation, la maintenance, l’exploitation commerciale et publicitaire des kiosques en France, qui en est le délégataire. Le grand groupe vient de remporter les appels d’offres un peu partout en France notamment à Marseille.
« Mediakiosk devraient réfléchir à nous trouver des nouvelles parts de marché pour améliorer nos conditions de vie. Ils prennent 2% de notre chiffre d’affaire sans compter la pub. Il y a la téléphonie, les colis et d’autres services qu’on pourrait proposer au gens ».
« C’est pas normal qu’il y ait qu’une seule société qui a la main mise sur le marché. Mediakiosk a remporté le marché public pour seize années, c’est énorme. Est-ce qu’on a voulu remercier monsieur JCDecaux parce qu’on lui a retiré Velib ? ».
« Avec les attentats de Charlie en 2015, plus rien, on a Ă©tĂ© laissĂ© Ă l’abandon »
Samir porte son regard critique sur les choses bien au-delà de l’antre de son kiosque. Il s’investit dans le quartier de Barbès et ceci depuis 2012. « C’était fatiguant de voir toute la journée des gamins arracher des téléphones ».
« J’ai été choqué du principal parti de gauche de l’époque. Ce parti, pour lequel j’ai beaucoup donné, a proposé la déchéance de nationalité, la loi travail »
Avec l’instauration des ZSP (Zone de Sécurité Prioritaire) par le gouvernement Valls, les choses allaient beaucoup mieux dans le quartier. Les ZSP permettaient une coopération entre instances gouvernementales, municipales, associatives, citoyennes pour l’amélioration du cadre de vie et ainsi participer à l’endiguement des trafics. « On voyait des policiers qui tissaient du lien avec les commerçants, les habitants. Il y avait des réunions régulièrement en préfecture de police pour voir l’avancement des choses. C’était très bien. Mais avec les attentats de Charlie en 2015, plus rien, on a été laissé à l’abandon ».
C’est à ce moment que Samir se politise et s’investit davantage. « J’ai été choqué du principal parti de gauche de l’époque. Ce parti, pour lequel j’ai beaucoup donné, a proposé la déchéance de nationalité, la loi travail ».
Pendant les élections présidentielles, Samir, qui vote habituellement à gauche, est séduit par Emmanuel Macron. « Il était jeune, je pensais qu’il allait réinventer l’action politique. J’ai voté aux présidentielles pour Macron mais au niveau local, je n’ai pas voté En Marche ».
Samir, qui est attaché à son 18ème , a pourtant fermé la boutique pendant plusieurs mois provoquant l’émoi des habitants et des commerçants voisins. « En 2017 pour cause de travaux, on me propose de partir ou de rester sachant que les travaux allaient rendre mon kiosque inaccessible ». C’est à ce moment que Samir va dans le 1er arrondissement, à coté de la rue de Rivoli et y reste pour 6 mois. « Je leur ai dit, je veux revenir dans le 18ème, à Barbes il y a une dimension sociale dans mon métier et c’est ce que j’aime, je n’en pouvais plus de vendre « Valeurs actuelles » » ironise Samir.
« Je le dis, il y a eu une volontĂ© de m’enlever du quartier »
Sauf que les choses ne se passent pas comme prévu. Son retour se fait difficilement et ce n’est qu’après plusieurs mois qu’il peut enfin revenir dans son arrondissement natal. Là encore, des complications concernant les travaux de modernisation qui tardent à commencer. « Une modernisation c’est 10 jours normalement, moi ça fait 1 mois et demi que j’attends. Depuis le 21 décembre je suis fermé[1], c’est mon gagne pain, comment je suis censé faire moi ? ».
Samir qui aime bousculer les choses, estime qu’il a pu déranger certains élus locaux. « Mon soutien lors des législatives a dérangé. Comment ça se fait que l’élu en charge des questions d’emploi n’a établi aucun lien avec moi pour résoudre mon problème ? Je le dis, il y a eu une volonté de m’enlever du quartier ».
« Grâce à différents collectifs comme Action Barbès et des syndicats, qui m’ont appuyé, j’ai pu rouvrir mon kiosque et maintenant j’ai toute une clientèle à retrouver ».
Samir met en avant des changements radicaux qui se font dans les quartiers populaires. « Il faut ramener des nouvelles tĂŞtes sans dĂ©loger les anciennes. Dans le quartier, des jeunes qui ont des business plans et des projets, il y en a pleins et pourtant ils n’ont aucune rĂ©ponse positives et on donne ces projets Ă d’autres ». Alors qu’il doit retourner travailler, Samir affirme avec fiertĂ© « J’ai connu du monde comme madame El Khomri, quand elle Ă©tait adjointe Ă la sĂ©curitĂ©, et quand elle Ă©tait ministre du travail et bien d’autres. Je suis toujours lĂ parce que j’aime mon travail. Et pourtant, on m’en a proposĂ© des choses ». Et ajoute « C’est Ă la fin du bal qu’on paie les musiciens ».
[1] Le kiosque est ouvert depuis 1er Février 2019