Adama SOW, 52 ans, auxiliaire de vie scolaire dans une école élémentaire de la goutte d’or dans le 18ème arrondissement de Paris et habitant du même arrondissement. Portrait d’un homme qui malgré la maladie, sourit de manière inconditionnelle à la vie.
La sonnerie de 16h30 retentit et le brouhaha des élèves qui dévalent les escaliers raisonne dans l’école. Adama qui quitte son service pour me rencontrer prend son temps et taquine les femmes de service qui nettoient le sol du couloir. Tantôt dans un dialecte peul tantôt dans un français bien aiguisé, il dégaine son style charmeur. Du haut de ses 185 cm, il s’assoit juste après avoir fini de sanctionner un enfant qui n’en faisait qu’à sa tête en classe.
« Les enfants malgrĂ© les moments difficiles oĂą je suis sĂ©vère avec eux, ne m’ont jamais renvoyĂ© Ă mon visage »
Adama est un peu la mémoire de l’école, cela fait douze années qu’il travaille en tant qu’auxiliaire de vie scolaire. Les AVS ont pour mission d’accompagner des enfants en situation de handicap dans les apprentissages scolaires et parascolaires. « J’aime ce métier parce qu’il permet de changer le regard sur le handicap, il permet de comprendre l’autre dans sa différence » nous informe Adama.
Adama travaille avec des enfants difficiles. « J’accompagne des enfants qui souffrent de troubles du comportement ». Mais face à la difficulté de son travail au quotidien et la précarité de sa situation de contractuel de l’Éducation Nationale, il affirme avec émotion « les enfants malgré les moments difficiles où je suis sévère avec eux, ne m’ont jamais renvoyés à mon visage ».
Adama est aussi une personne clé pour certains parents qui ne maitrisent pas les codes de l’école. Il fait le pont avec l’institution scolaire pour en faire un réel espace d’inclusion. « J’essaie de faire le lien entre l’école et les familles pour ceux qui ne maitrisent pas la langue française ».
« Le hasard, c’est la non connaissance des causes »
Dans cette longue carrière auprès d’enfants rĂ©putĂ©s difficiles, Adama n’oubliera jamais cet enfant. – Adama regarde en l’air et cherche ses mots avec Ă©motions- « J’ai suivi un enfant du CP au CE2 et trois mois avant la fin de l’annĂ©e en CE2, il a baissĂ© les bras et a refusĂ© de coopĂ©rer, de travailler. Il Ă©tait handicapĂ© c’est vrai mais j’étais au bout de mes forces, je me sentais responsable de son abandon, je me suis remis beaucoup en question » explique Adama.
Mais Adama n’est pas là par hasard, d’ailleurs il n’y croit pas « le hasard c’est la non connaissance des causes ». Celui qui aura quitté son Sénégal natal en 1991 pour venir en France à cause de sa maladie, a beaucoup subi mais s’est forgé un mental d’acier. « J’ai connu le mot résilience ici, mais je l’ai construit tout seul dès mes neuf ans au Sénégal » affirme-t-il.
C’est à l’âge de huit ans alors qu’il est chez son oncle que celui-ci s’alerte et informe la famille sur l’œil gauche du jeune Adama. « Regardez bien Ada, son œil gauche sort plus que l’œil droit ». « Mes tantes lui répondaient qu’il était trop observateur et qu’il n’y avait rien d’anormal » reprend Adama. « Six mois après, les médecins s’alertaient et mon oncle avait raison ». Commence alors une période très difficile où le jeune Ada doit vivre au quotidien avec sa maladie. « J’ai pas vécu d’adolescence, j’ai pas eu la transition normale comme chacun ». Ce rajoute à cela la cruauté des « on-dit » et des crédulités africaines. « L’Afrique noire est remplie de superstition, on mettait ma maladie sur le dos du mauvais œil, du mauvais sort ».
« Cette tumeur a touchĂ© mon identitĂ©, mon visage. Elle a touchĂ© mon intimitĂ©, ma sĂ©duction »
Adama cet amoureux de la culture et de la littérature se voit alors obligé d’arrêter l’école en 1ère au Lycée. Ce n’est qu’à l’âge de vingt cinq ans qu’il arrive en France à Nancy pour se soigner grâce à une connaissance de son père. Le père d’Adama travaillait pour Air Afrique, une compagnie aérienne africaine filiale d’Air France. C’est dans ce cadre qu’il fait la connaissance d’un médecin s’occupant du personnel naviguant de la compagnie française. Le médecin consulte le jeune sénégalais à Dakar et pose le diagnostic : Adama souffre d’une tumeur crânienne. Plus précisément d’une dysplasie fibreuse crano-fronto-orbitaire et doit se faire opérer.
Depuis 1991, Adama a subi plus d’une vingtaine d’intervention et au total plus de cent heures d’opération. «Avant l’opération j’avais une exophtalmie, l’œil sortait, je saignais tous les jours ».

« Jusqu’à aujourd’hui on m’appelle Ada peul bou-rafet ce qui veut dire Ada le beau peul »
Mais le jeune sénégalais n’a qu’une seul obsession au réveil de sa première opération, celui de se regarder dans un miroir dans l’espoir de retrouver un « visage social ». « Chez l’homme moderne on voit deux choses, les mains et le visage. Cette tumeur a touché mon identité, mon visage. Elle a touché mon intimité, ma séduction » raconte Adama.
« Quand on passe du tout à rien c’est difficile. Avant d’être malade j’avais ce visage attirant on me prêtait beaucoup de beauté. Jusqu’à aujourd’hui on m’appelle Ada peul[1] bou-rafet ce qui veut dire Ada le beau peul » s’amuse Adama.
Malgré les aléas de santé, Adama s’engage dans plusieurs associations du 12ème arrondissement de Paris près de la Gare de Lyon de 1993 à 1995. « Je me suis proposé pour accompagner des enfants dans un soutien scolaire. Je me sentais utile et j’avais besoin d’être utile ».
Dans ce parcours de vie qui l’a mené jusqu’à ce poste d’AVS où il se sent utile pour les enfants, il retient des moments douloureux. Des moments où il s’est senti marginalisé à cause de son handicap. Il se rappelle de ces contrôles de police fréquents et de ces questions blessantes.
« Quand on projette une image nĂ©gative de nous alors que l’on n’est pas comme ça, c’est blessant. Mais c’est dĂ©passĂ© maintenant »
« J’ai vécu des contrôles au faciès, où les policiers me demandaient si j’étais drogué, si j’étais un voyou. J’étais tout le temps obligé de me justifier à cause de mon visage » raconte Adama.
« J’ai le droit d’être malade » répondait-il aux policiers.
Autre exemple, en vacances à Nice où il sentait de la méfiance à son égard. « Les gens qui me voyaient se précipitaient sur leur sacs. Quand on projette une image négative de nous alors que l’on n’est pas comme ça, c’est blessant. Mais c’est dépassé maintenant » conclut Adama.
Des moments insolites, il en a plusieurs à raconter aussi. Il se rappelle de ce jour où dans les transports, il sort un jeune collégien d’une situation délicate. « C’était dans le bus, il y avait une bagarre de collégiens. Ils étaient plusieurs sur un jeune pour le frapper. Je suis descendu avec eux et je leur ai dit « Ne le touchez pas, regardez-moi bien en pointant de l’index mon visage, je sors de prison » » nous raconte sourire aux lèvres Adama. « Le petit m’a remercié et s’est en allé ».
« Il faut l’investissement des habitants pour prĂ©server encore cette mixitĂ© sociale dynamique qui enrichit la sociĂ©tĂ© »
« C’est vrai que je suis quelqu’un qui déteste les injustices, mais faut que je fasse attention parce qu’un jour je prendrai un coup » se méfie Adama.
Ada qui n’est plus retourné vivre au Sénégal depuis sa venue en France s’y retrouve à la Goutte d’or dans le 18ème arrondissement. « J’y retrouve aussi un peu de mon Sénégal natal dans ce quartier. On y rencontre le monde entier, dans la gastronomie, les produits exotiques, et les tissus flamboyants ». Mais Adama pointe aussi une gentrification galopante. « Je vois deux 18ème. Un côté ouest bobo-isé et un côté est qui se gentrifie. Une gentrification grignotant petit à petit l’espace faisant disparaitre à long terme le charme du quartier. Il faut l’investissement des habitants pour préserver encore cette mixité sociale dynamique qui enrichit la société »
Alors qu’Adama doit reprendre son service d’étude, il revient sur son épreuve de la maladie et conclut. « Je n’ai pas de revanche sur la vie, je suis chanceux parce que je suis encore en vie ».
La sonnerie retentit, Adama retourne en classe transmettre comme il le fait tous les jours, un peu de lui-mĂŞme.
[1] Les peuls forment un peuple établi en Afrique de l’ouest (du Sénégal à l’est du lac Tchad)
Un beau portrait, un parcours de vie inspirant qui contraint l’admiration et la reconnaissance.
Pas de place pour la victimisation.
Une plume juste et digeste.
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